Il se pourrait bien que la source de l’échec d’une fusion acquisition se trouve ailleurs que dans les "due diligence ». Il y a bien longtemps maintenant que ces vérifications d’usage sont l’usage justement. Où se place donc le risque, le véritable risque d’échec ? C’est un risque que l’on juge être un risque « humain » que l’on situe généralement au niveau de l’égo des dirigeants et/ou dans la culture des organisations. A-t-on vérifié la comptabilité des acteurs en présence qui, tous deux, jouent une scène particulière, avec des outils particuliers, et une manière de faire bien à eux ? Les entreprises ont des cultures qu’il s’agit d’identifier, des philosophies qu’il s’agit de mettre au jour, afin de voir comment l’on pourra conduire le changement, accompagner la transformation.
La fusion de deux entreprises n’est pas forcément issue d’une histoire d’amour, mais bien plutôt d’une histoire de puissance voire de survie. Dans une histoire d’amour, nous avons tendance à chercher notre âme sœur. Cette idée, « l’âme sœur » est une idée qui nous vient du discours d’Aristophane, discours prononcé en l’honneur du dieu Amour lors du fameux Banquet de Platon. Selon les dires d’Aristophane, nous étions pour beaucoup des êtres androgynes, des sortes de sphères célestes, enfants des étoiles. Or, Zeus, jaloux de notre perfection, nous découpa en deux parties. Depuis, nous cherchons l’être aimé dans le passé, notre moitié. Nous désirons ardemment retrouver l’être perdu…
Disons-le franchement, la fusion de deux entreprises ne se vit jamais ou très rarement comme de belles et tendres retrouvailles (ce que suppose le mythe des âmes sœurs). C’est toujours une chose difficile à vivre pour l’ensemble des collaborateurs. On dira que c’est le choc de deux cultures qui sont censées, après rencontre, n’en faire qu’une. Mais qu’est-ce qu’une culture d’entreprise ? C’est l’ensemble des savoirs, des pratiques et des rites jugés nécessaires pour réaliser le travail. La culture d’une entreprise, c’est donc globalement son style : ce qui fait sa singularité pour l’ensemble de ses parties prenantes.
Qu’est-ce que l’on aime dans la fusion ? La puissance de frappe que l’on acquiert ? Soit. Il est vrai que le fait de pouvoir peser dans le cours des affaires est chose agréable. La question devient alors : comment est-ce que cette entreprise pèse dans le cours des affaires ? Par où l’on revient à la question de son style.
L’idée que l’on pourrait faire se confondre deux entités séparées est illusoire, voire dangereuse. La fusion est un désir archaïque. L’accompagnement pour une fusion commence dès lors que l’on réfléchit sur ce qui distingue chacune de ces entreprises, sur le style de chacune d’entre elles.
Au-delà du désir de puissance ou de la simple contrainte de regroupement, il faut désirer la différence de cette autre entreprise (serait-ce la définition réelle de l’amour : désirer la différence de l’autre), désirer son style à elle et non le nôtre. Au lieu de s’inscrire dans une lutte pour la reconnaissance de chacune des identités, il faut inscrire d’emblée un parcours de la reconnaissance pour chacune de ces entreprises.
Cette reconnaissance aura lieu si chacune des entreprises s’accorde sur un rite de l’étonnement : si chacune a le cran de faire un rapport d’étonnement à l’autre sur la valeur ajoutée de son style.